jeudi 19 septembre 2013

Les vacances d’un zoologiste : les mâchoires de l’Arctique.

Battle et Sophie vous ont déjà parlé de leurs vacances en tant que scientifiques. Voici maintenant mon tour. Pour ceux qui me connaissent un peu, vous savez que ça va forcément parler de petites bêtes bizarres. Ceci dit c’est l’occasion de vous raconter comment on les trouve mais surtout, où on les trouve !

Parfois, en plaisantant, entre gens de notre laboratoire, nous nous faisons la remarque que notre recherche se rapproche de la cryptozoologie, l’étude des animaux légendaires. Notre  sujet d’étude est la méiofaune, les animaux microscopiques (j’en ai parlé dans cet article : Méiofaune). Pourquoi cela se rapproche t-il de la cryptozoologie ? Certains de ces animaux ne se trouvent qu’en très faible nombre dans des endroits parfois éloignés ou atypiques (abysses, grottes marines,  une plage perdue en Australie… Ou en France, bref). Pour un nombre considérable d’entre eux, leur morphologie est si étrange qu’on ne sait pas bien à quel groupe d’animaux déjà connus les assigner. Ils présentent des organes ou des structures qui n’existent nulle part ailleurs. L’un des animaux qui nous intéresse est le « Micrognathozoa » ou « Limnognathia ». On le trouve dans les mousses d’eau douce, jusque là rien d’impressionnant. Cependant sa présence a été rapportée à seulement deux endroits sur Terre : L’île Disko au Groenland (ou Qeqertarsuaq) et les îles Crozet, des îles sub-antarctiques.  Cet été nous sommes donc partis au Groenland chasser Limnognathia

Pour l’histoire, le Groenland appartient au royaume Danois. J’ai donc eu la chance de pouvoir aller voyager là bas en tant que thésard à l’université de Copenhague. Il y a, sur l’île Disko, une station scientifique appelée « Arktisk station », une annexe de l’université de Copenhague. C’est là que nous avons été hébergés et que nous avons installé notre laboratoire. Mais l’île Disko ne cache pas seulement Limnognathia mais aussi beaucoup d’autres animaux que l’on ne trouve que là bas (et nulle part ailleurs au Groenland). On y trouve aussi au littoral, en faible profondeur, un sable fin peu commun au Groenland. Reinhardt Kristensen, un des zoologistes qui a décrit les trois derniers phylums découverts (cf article méiofaune pour deux d'entre eux et mon autre blog pour le troisième) et qui a vécu plusieurs années au Groenland, nous a raconté cette légende Inuit : l’île Disko proviendrait originellement du sud du Groenland. Les pêcheurs de l’île auraient demandé à un personnage appelé « fille de la sorcière » de placer l’île plus au nord pour des raisons de commodité. Elle aurait demandé alors d’avoir la chevelure d’un nouveau né. La chevelure lui fut donc donnée et grâce à cela, elle harponna l’île, l’attacha à son kayak et en une nuit mena l’île jusqu’au nord. Certains détails de l’histoire m’ont échappé mais ce qu’il y a d’étonnant c’est que cette île possède en effet un climat partiellement sud groenlandais qui est du à un upwelling, ou remonté d’eaux chaudes profondes à la surface de la mer.

La station Arctique

Vous pouvez donc imaginer l’ambiance de la mission. Des étudiants excités à l’idée de traverser pour la première fois de leur vie le cercle polaire arctique, pour y trouver parmi les plus fascinants des animaux, et des professeurs tout aussi joyeux d’aller dans un endroit où ils ont fait parmi leurs plus importantes découvertes, pour le montrer à leurs étudiants plein de passion.

L’aventure commence enfin. Départ de Copenhague avec plus de 100kg de surpoids (plus plusieurs boites déjà envoyées à la station, les microscopes et autres équipements ça pèse). Après plusieurs heures d’avion et une première escale au Groenland, nous arrivons dans la ville d’Aasiaat où nous faisons la connaissance de nos premiers icebergs. Puis le lendemain nous naviguons entre les icebergs jusqu’à l’île Disko, durant ce voyage nous voyons nos premières baleines. Un des animaux les plus gros au monde… Pour notre part nous chassons un des plus petits. Une fois arrivés à la station scientifique, nous établissons le laboratoire. Pour l’instant tout a l’air propre (ce qui ne va pas durer), nous sommes prêts pour la récolte d’animaux en tous genres (et espèces !).


Malheureusement vous ne le voyez pas mais le labo donne sur les icebergs. Pas moyen de se plaindre.

Premier jour de travail, nous ne chômons pas. Un premier groupe part en bateau faire des échantillons. Quand à moi je reste avec deux de mes collègues (et amis), plongeurs, qui ont le grand courage d’aller faire de la plongée en tubas (avec des combinaisons bien sûr). N’étant pas plongeur moi-même, je reste pour les assister. Ils prélèvent plusieurs fois du sédiment et trient les organismes sur place grâce à un tamis. Cette méthode permet de récolter la « macrofaune » c’est à dire les organismes visibles à l’œil nu. Nous récoltons aussi des algues. En les « essorant » nous pouvons  y trouver pas mal de « méiofaune », ces animaux microscopiques.




Draguer demande parfois du courage. Nous rejoignons ensuite les autres dans le bateau. Cette fois ci nous prélevons de la vase grâce à une drague, un filet accroché à une armature qui racle le fond marin. Pas d’inquiétude ce n’est qu’une petite drague, pas de destruction massive des fonds marins (libre à vous de penser aux blagues que vous voulez, je n’ose pas faire les miennes). Alors que nous draguons (bonne ambiance dans l’équipe), subitement le bateau se met à basculer. Nous avons heurté un rocher. Les marins  relâchent immédiatement la tension puis remontent la drague, l’armature est totalement déformée. Impressionnés, nous discutons à propos de la force du choc. Nous avons eu de la chance que le câble ne lâche pas, cela peut facilement tuer quelqu’un (ce qui est arrivé, sans décès, quelques semaines auparavant).


Mise en place de la drague, n’essayez pas celle-ci dans les bars.


L’armature de la drague complètement déformée

La question qui se pose lorsqu’on étudie la méiofaune (ou des organismes de la vase) c’est comment récupérer les animaux, comment les séparer du sédiment ? Qu’allons-nous faire avec ces dizaines de kilos de vase ? On peut éventuellement  la passer au tamis mais soit la maille du tamis est trop petite et la vase le colmate (dans ce cas là on récupère trop de vase), soit il est trop gros et les plus petits organismes passent à travers. Une technique est de remuer les premiers centimètres de vase (dans l’eau à 4°C on essaye de ne pas faire ça trop longtemps avec nos mimines) pour mettre les organismes en suspension puis avec un petit filet à aquarium on filtre les premiers centimètres d’eau. Ainsi on récupère peu de vase et les organismes, qui flottent plus longtemps, sont récoltés. Ensuite direction le labo, loupe binoculaire, pipette ou pince pour récolter les organismes, livres d’identification, panoplie de produits chimiques (plus ou moins toxiques) pour préserver les organismes pour différents buts, et c’est partit pour le giga fun : « ohhhh regarde ce ver, il est joli », « Je comprends pas celui-ci colle avec aucune espèce décrite ici », « alors je vais t’expliquer comment identifier un Ophelidae » etc.

Puis vient le jour tant attendu, la chasse au Limnognathia ! Parmi les dizaines, si ce n’est centaines, de ruisseaux sur l’île, un seul est connu pour cacher notre proie. Nous prenons donc le bateau pendant 5 heures, un trajet calme et agréable entre les icebergs et les baleines. Nous arrivons finalement à notre point de récolte. Régulièrement nous entendons un son sourd, ce sont des icebergs se brisant au loin. Dur cependant de trouver celui qui se brise au milieu de cette abondance, ils couvrent en effet presque tout l’horizon. Nous accostons donc et remontons le ruisseau. Plus nous montons et plus ce dernier est discret. Au final il cours entre les mousses et ressemble seulement à un ensemble de petites mares. Dur de se dire qu’une des découvertes les plus importantes de la zoologie moderne s’y cache. Complètement survoltés nous n’arrêtons pas les blagues sur cet animal parmi les plus petits (invisible à l’œil nu) mais avec des mâchoires étonnement complexes :  « snif snif, je peux sentir le Limnognathia », « regardez, y’en a au moins deux dans cette marre », « ne buvez pas d’eau, vous risquez d’avoir des bouts de mâchoires entre les dents », « AAAAAH, un Limnognathia me tire vers le fond, aidez moiiiii ! » . Mais nous nous calmons vite, nous sommes assaillis par les moustiques. Motivés cependant, nous continuons. Nous devons prendre des mousses, les compresser et récolter le jus dans un tamis de 30µm (c’est que l’animal est petit !). Et parfois il faut se mouiller !

Maikon, notre post-doc téméraire, chassant le « petit animal à mâchoires » (Micrognathozoa) ou « les mâchoires lacustres » (Limnognathia). Gare aux jambes !

Chasser le Limnognathia avec un « soutient gorge de sirène » à la main (le tamis, oui on appelle ça « mermaid bra » !), le filet à moustique et la bouteille à prélèvement.

Après avoir fait nos récoltes (qui ont probablement divisé par deux la population de notre terrible animal à mâchoires), nous ramenons tous les échantillons sur le bateau. Sur le chemin du retour, nous faisons aussi quelque prélèvement de sédiment avec le « Mini Vann Veen », un outil cher au méiofauniste qui permet de récolter le sédiment en profondeur (pas les abysses non plus). Le principe est simple, une « pince » attachée à un câble est lâchée dans l’eau. En percutant le sédiment et avec son poids elle va se refermer et prélever le sédiment. A l’ouverture c’est toujours une surprise. Ca peut être « ah mince, ça c’est refermé avant de toucher le fond on a que de l’eau » ou « ah c’est trop vaseux, c’est de la merde ce sédiment » ou « OLALALALALA ! Regarde moi ce sable il est magnifique !!! Je suis sûr qu’on va y trouver plein d’animaux géniaux !!! Vite on re-prélève ! Vite vite avant qu’on perde la zone ! ». Oui, un des marins nous a pris pour des fous à nous émerveiller sur du sable. Voici une vidéo d’un de nos prélèvements (qu’on a effectué plus tard). Remarquez que malgré notre sérieux, il y a un temps de suspens et d’extrême curiosité au moment de l’ouverture de la pince… Et mince, c’est que de la vase…





Finalement nous abrégeons les prélèvements. Une tempête est prévue pour le retour. Même si celle-ci n’est pas effroyable, sur un petit bateau scientifique avec des vagues de plusieurs mètres secouant irrégulièrement de tous les côté, nous sommes quasiment tous pris d’un désagréable mal de mer. Même les plus téméraires !
Le lendemain il est temps de jeter un œil à nos échantillons. Premièrement le sable. Mais ici comment procéder ? Les animaux de la faune interstitielle (entre les grains de sable) ont en général des glandes adhésives et collent aux grains de sable. Le remuer ne sert donc pas à grand-chose vu que les animaux recouleront avec le sable. Comment donc les séparer ? On va les endormir ! Avec du chlorure de magnésium ! Après 10 minutes on les secoue énergiquement, puis, encore une fois on les filtre dans un soutien gorge de sirène ! On récupère ensuite « l’extraction » qu’on place dans une boite de pétri et hop, à la loupe binoculaire ! Encore une fois c’est la surprise. Il y a tous les états entre « Y’a vraiment rien dans cet échantillon, que des nématodes et des copépodes », « NON MAIS C’EST PAS POSSIBLE TOUS CES COPEPODES ET VERS PLATS !!! » « Oulà je crois que j’ai trouvé un ver intéressant mais je l’ai perdu » « cet échantillon est extraordinaire ! Je dois absolument y passer des heures, même au plus profond de la nuit, pour tous les récolter » (Haha, c’est un piège, il n’y a pas de nuit en été à Qeqertarsuaq !).


Deux vers cool que nous avons trouvé : Dinophilus taeniatus, la minuscule annélide et Diuronotus aspectos, le gastrotriche chaetonotide géant (600µm quand même !). Source: wikipédia.

La méiofaune classique est en général rigolote et cache une belle diversité. Puis le jour suivant on passe à la recherche de Limnognathia. Et c’est une autre histoire ! Évidement, notre directrice, professionnelle du domaine (et peut-être un peu chanceuse sur le coup) en trouve un grand nombre (comprenez quelque dizaines) très vite. Pour créer chez nous plus de frustration, pauvres étudiants inexpérimentés, aucun de nous n’a ensuite de bon échantillon. La journée fini donc en interminables lamentations pour trouver cette petite m***e blanche, nageant (donc jamais dans le champ de vision de la loupe binoculaire) lentement (donc quasi impossible à repérer au mouvement) et minuscule. Encore mieux, comme tout animal de la méiofaune qui se respecte, le transférer d’un récipient à l’autre c’est avoir une chance sur deux de le perdre. Quand on en trouve 3 dans une journée, y’a de quoi commettre un meurtre… Finalement nous en récoltons suffisamment (mais tout juste) après les efforts de 5 personnes sur 3 jours… Mais ça vaut le coup, traverser le cercle polaire Arctique pour voir un des animaux les plus rares et mystérieux au monde… Et mon chouchou en passant…

Pour vous convaincre que cet animal n'est pas le plus actif. Et encore, là y'en a plein c'est facile de les voir !

Et quand même, une vidéo à plus fort grossissement de notre star !


Quelques jours plus tard, nous avons l’occasion de faire un prélèvement de plancton, c'est-à-dire laisser trainer un filet derrière le bateau. Nous effectuons aussi un prélèvement de sable « subtérranéen », c'est-à-dire profond sur une plage. Nous tentons pour la première fois de creuser un trou d’un mètre cinquante dans une plage perdue du Groenland pour y trouver des organismes. En effet, la faune qu’on trouve dans cette haute zone de la plage peut être très particulière avec des organismes très rares. C’est un moment très amusant, nous constatons qu’enfant sur la plage nous faisions des trous pour jouer et qu’en doctorat, on s’amuse toujours de la même manière. Après de sacrés efforts et une bonne poilade donc, nous atteignons enfin l’eau au fond d’un trou de ma taille… En voici une preuve :



Et après ce suspens interminable (et tous ces efforts), je vous révèle ce qu’on y a trouvé… Rien ! Enfin si, des copépodes et des nématodes… Mais ce n’est pas ce que l’on cherchait.

Nous rentrons ensuite avec tous nos échantillons que nous plaçons dans le container réfrigéré qui nous a été prêté. Avec tous ces prélèvements nous le remplissons très vite :

Et encore là on n’y a pas encore entreposé la jambe de bœuf musqué que nous allons déguster pour le repas de départ de nos professeurs (qui partirons un peu avant nous).

Voilà, c’est la fin de cette aventure scientifique. Nous avons eu la chance d’y voir plein de petites bêtes qu’il est difficile de trouver ailleurs dans le monde. Ca a été pour ma part un de mes voyages les plus enrichissants sur tous les plans. J’ai voulu insister ici sur l’aspect récolte et terrain, pour la part « zoologique », vous pouvez aller voir l’article que j’ai publié sur la méiofaune. Mais bien sûr je ne peux pas vous laisser sans quelques photos supplémentaires. Entre les paysages magnifiques, les lieux uniques, la faune marine super riche, les histoires Inuit etc. je pourrais encore tergiverser pendant longtemps… 


Le brouillard tombe sur Qeqertarsuaq.

Qeqertarsuaq au loin.

Un glacier derrière le village. Notez qu’il était environ 21h30… 
Un beau bateau devant les montagnes qui entouraient le village


Le village de Kangerluk, d’une cinquantaine d’habitants perdu dans le brouillard au fin fond du Groenland. Avec des carcasses de phoques dépecées qui nous attendent à l’entrée et les chiens de traîneau hurlant tous ensemble… Rassurant…

Un magnifique nudibranche que nous avions récolté. Oui il y a une faune marine colorée au Groenland.

Et pour fini, un coucher de soleil sur les Icebergs.

dimanche 15 septembre 2013

Les vacances d'une (autre) écologue: mission tourbière




Les vacances des scientifiques…  à quoi ça peut bien ressembler ? Sophie vous en a donné un aperçu en vous contant ses aventures en Camargue. De mon côté, les vacances n’étaient pas au programme de l’été, mais ce n’est pas pour autant que l’aventure n’était pas au rendez-vous !

Si vous vous fiez à notre page de présentation, depuis un peu plus de 10 mois je travaille sur les tourbières, et plus particulièrement les tourbières du Jura. Cette année l’hiver a été très froid et plutôt long. Encore plus en altitude. Les tourbières du Jura sont restées sous la neige assez longtemps après la hausse des températures au mois de mars. Il a fallu encore plus de temps pour que l’activité reprenne dans cet écosystème qui s’était mis en veille tout l’hiver. Quelle activité ? Celle des micro-organismes dont je vous ai très brièvement parlé . Et c’est à ces petits amis qui ont pris leur temps pour se réveiller que je m’intéresse. C’est eux ma raison de me lever tous les matins depuis quelques mois. Et c’est encore eux qui ont accaparé mon attention tout cet été ! L’objectif de l’été est de prélever des carottes de tourbe pour ensuite faire des analyses et un suivi des communautés microbiennes en laboratoire afin de connaître l’effet du réchauffement climatique sur les bactéries et sur la capacité de stockage du carbone par les tourbières.
Le site expérimental sur lequel on prélève est situé à Frasne dans une réserve naturelle régionale et nationale. Plusieurs espèces protégées s’y développent comme la Drosera et l’Andromède.


Drosera rotundifolia (source)
Andromeda polifolia (source)



Mais pour que les chercheurs puissent faire avancer la science, un accord a été passé entre les responsables de la réserve et un groupe de laboratoire de recherche de façon à ce que le site soit classé Observatoire des Sciences de l’Univers, c’est-à-dire que les scientifiques ont l’autorisation d’y mettre en place des expériences afin de répondre à de grandes questions environnementales. Grâce à cet accord, en 2008, le laboratoire Chrono-environnement a pu mettre en place le ponton et un plan expérimental pour étudier l’effet du réchauffement climatique sur les tourbières. Ce plan expérimental (comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous) est constitué de 12 placettes dont certaines sont mises sous serre grâce à un système appelé Open-Top-Chamber et qui permet d’appliquer un réchauffement moyen de 2 degrés, ce qui correspond à un réchauffement plausible à moyen terme. Ce site expérimental est unique en France mais il a été reproduit en Pologne et en Sibérie afin d’obtenir des données sur un gradient latitudinal. Ainsi si mes expériences sont concluantes, il faudrait les réitérer dans les 2 autres pays !

Schéma du site expérimental des tourbières de Frasne


Et voilà, c’est pour mes amis (bactéries, champignons et autres compères) des tourbières que je me suis levée à 5h le vendredi 28 juin dernier et que je suis partie en vadrouille sur les sentiers perdus de la Franche-Comté, plus précisément du côté de la ville de Frasne.

Carte du site, © V.Jassey
Accompagnée de deux stagiaires et d’une ingénieure du labo (notre Mac Gyver à nous !), on décolle à la première heure. Après presque 3h de route à passer de petites villes en villages, c’est vers 9h du matin que nous arrivons aux abords de la tourbière du Forbonnet. Là, il nous faut enfiler bottes et chaussures de marche, pantalon imperméable, prévoir parapluie et crème solaire (on ne sait jamais à quel temps on aura droit, même en plein été), emporter nos sacs remplis de flacons et pots en tout genre, couteaux de taille conséquente, sachets isothermes, glacière, et nous armer de toute notre motivation et de notre humour sans lequel une journée de terrain ne serait pas une journée de terrain !



Panorama du site (quand il fait beau!!!)
C’est parti !

Presqu’à l’image d’Indiana Jones, on brave quelques pontons glissants (la faute à la pluie de la veille), souches et branches d’arbres traîtres et on se démène pendant un peu plus de 20 minutes au beau milieu d’une forêt de pins en tentant de ne pas s’embourber dans la tourbe ! C’est qu’elle a faim la tourbe. Dès qu’on relâche notre attention ne serait-ce qu’une seconde, elle ne perd pas une occasion d’aspirer un pied, voire plus (quand elle a de l’appétit, ça peut aller jusqu’à la cuisse !)… De mon expérience, la sensation n’est absolument pas désagréable. On se laisserait presque prendre à ce doux massage si seulement les membres en cours d’aspiration ne commençaient pas à se refroidir très rapidement. La tourbe, surtout après un hiver long et froid, est à une température moyenne de 10°C et plus on s’enfonce, plus c’est froid. Donc, il ne faut pas s’endormir sur nos lauriers…. euh sur nos pins !
A gauche, vous pouvez voir la forêt de pins dans laquelle on a du évoluer pour arriver au but et à droite, un petit aperçu de ce dans quoi il nous est arrivé de plonger nos pieds

Arrivés sur notre ponton expérimental et sans plus attendre, on se répartit les tâches : qui prélève, qui annote, qui prend les photos, et qui vérifie les capteurs. La meilleure partie, c’est le prélèvement biensûr ! A chaque campagne, le mode de prélèvement doit être adapté à ce qu’on veut étudier sur les échantillons. Dans mon cas, j’ai besoin de carottes de 10*10*15 cm de profondeur (photo plus bas). D’autres avant moi n’ont prélevé que des échantillons de sphaignes (c’est la mousse qui pousse préférentiellement sur ces tourbières et que l’on voit sur la photo de la carotte), ou encore que des échantillons sur les 3 premiers centimètres de profondeur. Mes carottes vont servir à mettre en place plusieurs expériences au laboratoire, et comme ce coup-ci je travaille sur les bactéries, il faut que le prélèvement se fasse de façon la plus stérile possible. C’est pour ça que les pots s’apprêtant à recevoir les carottes ont été lavés à l’alcool, il en est de même pour les couteaux servant à trancher la tourbe. Et entre chaque prélèvement, les couteaux sont aussi stérilisés à l’alcool.

Pour prélever sur chacune des 12 placettes, je dois descendre du ponton et marcher à même la tourbe, qui ne perd pas une seconde pour s’enfoncer en m’emporter avec elle. Deux solutions se présentent à moi : soit je reste en permanence en mouvement, mais cela rend complexe le découpage et le prélèvement des carottes, soit je me sers du Peatsurf, autrement dit le surf des tourbières ! Je suis sûre que vous vous demandez ce que c’est…. Je vous préviens, vous allez être déçu par la simplicité de l’idée. Le peatsurf n’est rien de plus qu’un couvercle de poubelle sur lequel on monte quand on a besoin de marcher sur la tourbière. Il nous permet de mieux répartir notre poids au sol et donc de ne pas nous enfoncer et de rester au sec (ou presque). Cette idée de notre Mac Gyver tient du système D mais c’est suffisamment simple, judicieux et efficace pour être validé par quiconque doit prélever sur les tourbières. 
Une belle photo de mon peatsurf!
Pour chaque placette, il a fallu, avant-tout, trouver une zone représentative de l’ensemble de la placette, puis découper la carotte au couteau aux dimensions souhaitées (10*10 cm en surface) sur une profondeur minimum de 15 cm. A partir de là, on abandonne les couteaux et on passe en mode manuel. Il faut alors plonger les mains dans la tourbe (avec des gants lavés à l’alcool pour rester dans des conditions les plus stériles possibles) pour en sortir la carotte (photo ci dessous à gauche) d’à peu près 3 kilos saturée en eau. Une fois la carotte prélevée, on en profite pour collecter un échantillon d’eau au fond du trou (photo ci dessous à droite) laissé pour y analyser les bactéries présentes.






Autant vous dire qu’entre la position assez inconfortable, l’instabilité du peatsurf et la température plutôt rafraichissante de la tourbe, on fait en sorte d’être efficace pour ne pas avoir à y revenir 2 fois. En un peu moins de 3h, tous les prélèvements sont faits et les échantillons stockés en glacière. Il ne reste plus qu’à rapporter tout ça en laboratoire. 
Là où c’est moins drôle, c’est que les expériences prévues sur ses échantillons doivent se faire à Paris. Donc après avoir remballé nos affaires, fait le chemin inverse au milieu de la forêt de pins, des souches, de la tourbe et sur les pontons glissants, et repris la voiture en direction de la gare la plus proche, j’enchaîne avec 3h de train chargée de plus de 30 kilos de tourbe et une valise de matériel de laboratoire. Arrivée à 21h à Gare de Lyon, je retrouve les traditionnels problèmes de métro qui retardent mon arrivée au laboratoire où je dois stocker mes échantillons en chambre froide jusqu’au lendemain. Mais après beaucoup de patience, à 23h mes échantillons sont enfin au frais. Ils vont pouvoir passer 24h au calme, et moi je dois traverser Paris pour rentrer chez moi, dormir quelques heures et me reposer une journée tout au plus avant de revenir m’occuper de mes petits amis des tourbières.

Et donc, dimanche matin, 9h, au laboratoire BIOEMCO, à Créteil, nous sommes 3 pour faire face à ces 30 kg de tourbe et d’eau. Mes deux acolytes, un chercheur et une post-doctorante, se sont aussi armés de leur humour et de leur réserve de café, car ils savent que la journée va être longue. Et ce n’est pas peu dire…. Nous avons fini à 2h30 … du matin, presque sans avoir fait de pause. 


De droite à gauche: une partie des échantillons est mise à sécher; ils sont broyés; puis on leur applique plusieurs méthodes de microbiologie pour mesurer la diversité génétique, la diversité de métabolisme, l’activité et la respiration des bactéries; et enfin on récupère les échantillons en prévision d’autres analyses.
Comme tout chercheur en biologie le sait, le vivant n’attend pas, il continue son cycle, son évolution quoi qu’il se passe. C’est à nous de nous plier à ses contraintes et pas le contraire. Mais ces fameuses contraintes, c’est cela qui nous forge de merveilleux souvenirs. Et dire que de simples bactéries sont capables de déclencher de monstrueux fous rires à n’en plus finir.

Pour tout vous avouez, les jours suivants n’ont pas été de tout repos et loin d’être faciles. L’ensemble des expériences que j’avais prévues a duré 1mois et demi en continu et il m’en reste quelques bribes à finir jusque fin octobre. Mais je n’échangerai pour rien au monde ces vacances d’écologue contre des vacances à Bora-Bora !


Battle
 
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