lundi 16 mars 2015

A l’école des embryons : connaitre ses ennemis avant de naitre

La grande barrière de corail. Ce nom nous évoque un endroit magique, grouillant de vie, où des espèces animales et végétales de toutes les couleurs et aux formes les plus extravagantes se meuvent dans un ballet poétique et apaisant. Pourtant, au cœur de cet éden, les lois de la nature sont aussi de mise. Tout n’est pas que quiétude, les habitants de cette étrange forêt doivent faire face à des menaces.

 
Les barrières de corail sont l’équivalent marin des forêt tropicales, une explosion de vie d’une infinie richesse (Source)

Rappelez-vous ces images saisissantes. Un couple de poissons-clowns, une anémone en guise de maison, et des rejetons par milliers qui sont déjà chouchoutés alors qu’ils sont encore dans les œufs. Soudain, une ombre… Un prédateur surgit, dévore la famille, ne laissant qu’un œuf et le papa complètement désœuvré. A l’éclosion, ce père attentif emmène Némo, son fils unique, à l’école de la mer où il va pouvoir apprendre à reconnaitre et éviter les monstres sanguinaires qui ont dévoré sa famille. Et bien que la scène découle de l’imagination débordante des scénaristes de Pixar, tout n’est pas complètement improbable. Car des chercheurs australiens viennent tout juste de mettre en évidence que les bébés poissons-clowns étaient capables d’apprendre à reconnaitre leur prédateurs. Mais mieux que Némo, ils le font avant d’être sortis de leur œuf ! 


Après que le reste de la famille se soit fait croqué sous ses yeux, Marins, le papa de Némo, est particulièrement soucieux de la sécurité de son fils ! (Source)

Depuis longtemps, on sait qu’un animal attaqué va libérer des substances chimiques, et que ces substances vont être utilisées par les autres animaux comme des signaux d’alarmes. Les chercheurs pensent que ces substances auraient pour rôle de base une fonction immunitaire, puis qu’elles auraient été utilisées secondairement en tant que signaux d’alarme. Ainsi, en détectant ces signaux, un individu pourrait avoir connaissance de la présence d’un prédateur sur les lieux, et décamper fissa avant de lui aussi se faire croquer. Sauf que quand il n’y a pas d’autre victime autour pour fournir les signaux d’alarme, il vaut tout de même mieux se carapater avant de devenir la source de ces signaux ! Si le prédateur n’est pas visible, une alternative serait de réagir… à son odeur. 

Comme l’odeur de prédateur est très variable selon son espèce, sa reconnaissance, contrairement à celle des signaux d’alarme, n’est pas souvent innée : les individus doivent apprendre à la reconnaitre. Ainsi, en observant ses congénères se faire dévorer, ou en les observant paniquer, beaucoup d’animaux apprennent à associer l’odeur du prédateur avec l’idée de menace. Dans le monde corallien, connaitre l’odeur de ses ennemis permet de choisir son habitat en limitant les risques de se faire grignoter. 


Pseudochromis fuscus est l’un des prédateurs des œufs et jeunes poissons clowns. Il a été utilisé dans cette étude pour fournir son odeur (Source)

En revenant à notre famille (ou ce qu’il en reste) de poissons-clowns, on comprend bien que les rejetons risquent de devoir rencontrer des prédateurs très tôt dans leur vie. En partant de ce principe, une équipe de chercheurs travaillant en Australie a voulu savoir si les embryons avaient déjà les capacités de réagir aux signaux d’alarme, mais aussi d’apprendre à reconnaitre leurs prédateurs.

Après avoir substitué leur ponte à des parents poissons-clowns, ils ont exposé les œufs aux fameux signaux d’alarme. Pour les obtenir, ils ont simplement écrasé les œufs de quelques-uns de leurs frères et sœurs… Pour rendre compte de la réaction des embryons, ils ont mesuré le rythme cardiaque, qui montre chez de nombreuses espèces de poissons une corrélation avec la réponse anti-prédateur. Le résultat est pour le moins impressionnant : les embryons sont tout à fait capables de réagir aux signaux d’alarme pas plus tard que 6 jours après la fertilisation ! Et même si les larves sortent de l’œuf une poignée de jours plus tard, à cette échelle, ce sont encore des embryons qui n’ont pas fini d’être formés.

 
Résumé schématique du test d'apprentissage. Sans association avec le signal d'alarme, l'odeur de prédateur provoque une réaction due à la nouveauté, qui disparait avec le temps.


Pour tester leur capacité d’apprentissage, les chercheurs ont plongé les embryons dans de l’eau propre, ou contenant de l’odeur de prédateur, avec ou non le signal d’alarme. Le lendemain, tous les embryons ont subi un ajout d’odeur de prédateur (voir schéma ci-dessus). Hé bien exactement comme les chiens de Pavlov associaient le son de la cloche à l’arrivée de la nourriture, nos embryons apprennent à associer l’odeur de prédateur à une menace imminente ! Les embryons qui ont été plongés dans une eau avec le signal d’alarme couplé à l’odeur de prédateur réagissaient ensuite, par association, à la seule odeur de prédateur. Mieux encore : leur réaction était de la même intensité que celle qu’ils avaient eu au contact du signal d’alarme. De leur côté, ceux qui avaient été exposés simplement à l’odeur de prédateur ou à de l’eau de mer n’avaient qu’une réaction limitée due à l’introduction d’une odeur étrangère, réaction qui disparaissait donc le jour suivant. Les embryons de poissons-clowns sont donc non seulement capables de développer un système olfactif fonctionnel très tôt, mais peuvent également utiliser ce dernier dans un processus d’apprentissage qui pourrait plus tard leur sauver la vie ! 

Les poissons clowns sont connus pour être fidèles aux espèces d’anémones dans lesquels ils ont grandi. Cette capacité pourrait elle aussi découler d’un apprentissage olfactif de leur environnement natal. Quant à la reconnaissance des prédateurs, elle est bien pratiques quand ils quittent le nid familiale et doivent se choisir une nouvelle place pour vivre : tant qu’à faire, autant qu’elle soit dépourvue de prédateurs ! 


Amphiprion melanopus, le modèle de cette étude (Source)


Bibliographie 


Atherton, J.A. & McCornick, M.I. 2015. Active in the sac: damselfish embryos use innate recognition of odours to learn predation risk before hatching. Animal Behaviour, 103, 1-6. 


Sophie Labaude

2 commentaires:

  1. Ce blog est vraiment super !
    J'aurais aimé faire de la biologie marine et j'adore vos articles. Alors la les gastrotriches, c'est absolument génial, je ne savais même pas que ça existait !
    Je vous remercie pour votre travail, les photos, c'est agréable à lire, clair, intéressant... bref, parfait !

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    Réponses
    1. Merci pour les encouragements ! Si vous voulez quelques conseils à propos de la biologie marine, on peut vous en donner :)

      Et très content d'avoir fait découvrir les gastrotriches à quelqu'un :)

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