lundi 19 octobre 2015

Trois utilités insolites des parasites

Les parasites, ça va un peu plus loin que ces bestioles douteuses qui suintent du derrière de matou qu’on a oublié de vermifuger. Ça va au-delà aussi de ces étranges moumoutes sur pattes qui sont venues à bout de votre bonsaï favori. Les parasites constituent un empire, quelque chose comme la moitié des êtres vivants de la planète, qui plus est capables d’infecter presque tous les autres. Une source quasi inépuisable d’idées, d’innovations, de détournements possibles pour les humains… Vous voulez quelques exemples ? Voici trois utilités originales que les humains ont trouvées aux parasites. 


Des vers solitaires pour maigrir ? Si cette affiche est probablement fausse, il semble tout de même que l’idée ait été propagée au début des années 1900 (Source)


Identifier des cadavres


Du côté des médecins légistes et de la police scientifique, les parasites ne se retrouvent pas seulement sur le banc des accusés. A l’heure actuelle, la mobilité des humains n’a jamais été aussi importante. Les hommes ont la bougeotte, ils ne tiennent pas en place. Aussi, quand une catastrophe quelconque (catastrophe naturelle, crime, accident…) en décime, les autorités sont confrontées au problème de l’identification des corps. Malheureusement, les victimes ne portent pas toujours sur elles de quoi donner des pistes. Plusieurs méthodes existent alors, telles que la reconnaissance des empreintes digitales ou l’utilisation de l’ADN. Ces méthodes efficaces nécessitent cependant des points de comparaison : on ne peut reconnaître une empreinte, digitale ou génétique, si l’on n’a pas un échantillon connu avec cette même empreinte. C’est à ce moment que les parasites entrent sur la scène d’investigation. 

Utiliser les parasites ne permet pas (encore) d’identifier formellement une personne, mais donne une approximation de sa provenance géographique, ce qui facilite ensuite l’identification plus formelle. La méthode est très simple : elle part du principe que certains parasites se retrouvent à peu près partout dans le monde, mais avec des différences génétiques propres à certaines régions. 

Prenons le virus JC. Ce virus infecte grosso-modo un tiers des personnes, généralement durant l’enfance. Il persiste ensuite chez l’adulte, où on le retrouve notamment au niveau des reins et dans l’urine. Plusieurs génotypes de ce virus (des types génétiques) existent, et sont différents selon les régions du monde. Ces particularités font que ce virus est d’ores et déjà utilisé par la police pour cibler les régions d’origine des corps à identifier. Il suffit de prélever, chez la victime, un échantillon d’urine ou de rein. A l’aide d’un dispositif portatif qui permet d’identifier le type du virus, on en déduit alors son origine géographique, et donc celle de la victime. Et le tout ne prend pas plus de quatre heures. Très pratique dans des cas de cataclysmes, ou beaucoup de corps doivent être identifiés rapidement et sur place, et sans beaucoup d’indices préalables. Ikegawa (2008) vante dans un article les mérites de cette méthode : cadavres pas très frais ou brulés ne modifient pas la détectabilité du virus. De plus, contrairement aux méthodes basées sur des analyses des caractéristiques de l’ADN, on remonte à un lieu géographique où la personne a grandi, et non son origine ancestrale : un américain dont les parents sont français sera ainsi reconnu comme venant d’Amérique. D’autres parasites sont également candidats dans les cas où la victime n’est pas infectée par ce virus. 


Je ne pouvais décemment pas vous mettre de vraie photo de cadavre… (Crédits : 20th Century Fox)


Attraper des souris 


En Nouvelle-Zélande, comme dans beaucoup d’autres pays, la prolifération des rongeurs nuisibles est un problème majeur. Les rats notamment, introduits par les humains, sont responsables du déclin et de la disparition de nombreuses espèces endémiques. Sans prédateurs adéquats pour réguler leur population (il y a bien les chats, eux aussi introduits…), les rats sont particulièrement difficiles à contrôler. A l’heure actuelle, les méthodes pour réduire leur population sans affecter celle des autres espèces (pas question d’empoisonner tout un écosystème) sont globalement basées sur de simples captures, à l’aide de pièges. Cette méthode fastidieuse est entièrement dépendante du succès de capture de ces pièges, ainsi que de la motivation des humains à les poser et les relever. Question motivation, il y a bien quelques initiatives, comme des primes pour les rats capturés. Ainsi, les étudiants sont incités à participer aux opérations, en échange de bières pour chaque rat capturé ! Mais question succès de capture, ce sont les rats qu’il faudrait motiver : les pièges fonctionnent par l’entrée volontaire de l’animal dans le dispositif… 


Le kakapo, perroquet endémique de Nouvelle-Zélande, ne doit son salut qu’à des efforts soutenus de conservation. L’arrivée sur l’île de prédateurs comme le rat l’a fait frôler l’extinction. D’autres espèces n’ont pas pu être préservées à temps… (Crédits : Mnolf)


La question se pose alors : comment faire en sorte que les rats adoptent une plus grande tendance à entrer dans les pièges ? Comment faire en sorte que, contrairement à leur instinct qui leur dicte de se méfier de la nouveauté, les rats sautent de leur plein grès vers leur fin… Comment modifier leur comportement pour leur faire faire des actions qui vont à l’encontre de leur instinct de survie… Une idée ? 

Éparpillés dans la nature, invisibles et presque inconnus des humains, existent des êtres qui ont ce pouvoir, celui de modifier les comportements d’animaux et les rendre quelque peu suicidaires… : les parasites manipulateurs. Si ce nom ne vous dit rien, je leur avais consacré un long article (par ici). Parmi les parasites manipulateurs, il en est un qui est particulièrement connu, notamment puisqu’il affecte l’humain : Toxoplasma gondii (responsable de la toxoplasmose, vous l’aurez deviné). Ce parasite a pour hôtes successifs des rongeurs et des carnivores, notamment des chats. Pour passer de l’un à l’autre, il utilise la transmission trophique : la souris devra se faire dévorer par le chat. Le parasite a développé la capacité d’altérer les comportements de ses hôtes rongeurs, de sorte que ceux-ci soient beaucoup plus enclins à s’approcher de leur ennemi… au point même qu’il a été montré que certains sont attirés par l’odeur de leurs prédateurs. Une légende (permettez-moi de souligner légende) prétend même que les humains se font aussi manipuler, et que la présence de T. gondii dans notre pauvre cerveau serait responsable de notre amour inconditionné pour les chats (et même que ça serait pour ça qu’ils sont les maîtres incontestables du web !). 


Le rat, une des terreurs de beaucoup d’écosystèmes quand il est introduit. De nombreuses actions sont entreprises pour tenter de limiter leur population, et leur impact (Crédits et infos)


Laissons les légendes de côté pour retourner vers de ce qu’on connaît vraiment. Dans une étude très récemment publiée, Tompkins et Veltman (2015) proposent que T. gondii soit, pour une fois, du côté des humains. Ce parasite, présent à peu près partout, n’affecte pas seulement les préférences olfactives des rongeurs, mais également leur néophobie. D’ordinaire méfiants vis-à-vis de la nouveauté, les rats laissent parler leur curiosité lorsqu’ils sont infectés, et n’hésitent plus à s’approcher des objets dangereux. A tel point que les auteurs reportent une augmentation de 75% du succès de capture de rats par des pièges ! Selon eux, à prévalence suffisante (c'est-à-dire si la population de rats est suffisamment infectée par le parasite), les modifications comportementales des rats pourraient permettre de réduire considérablement les efforts humains tout en maintenant leur population à un seuil acceptable. Une étude qui pourrait d’ailleurs inspirer bien d’autres applications utiles aux nombreux parasites manipulateurs connus ! 


Compter des espèces invisibles 


Les parasites bénéficient d’une relation très intime avec la biodiversité. Cela peut paraître contre-intuitif du fait de l’image négative que nous en avons, mais un écosystème riche en parasites est généralement un écosystème qui se porte très bien. En cause, le lien qu’entretiennent les parasites avec leurs hôtes, et notamment les parasites spécialistes. Ces derniers ont des préférences vitales pour des espèces d’hôtes très particulières. Autrement dit, sans la présence d’une de ces espèces d’hôtes, ils disparaissent. D’ailleurs, on n’y pense pas forcément, mais les parasites font partie des grandes victimes d’extinctions secondaires : la disparition initiale de leurs hôtes entraîne la disparition des espèces qui en dépendent, les parasites se situant en toute première ligne. 


Petit micmac d’helminthes (Crédits : SusanA Secretariat)


Le lien parfois étroit entre la biodiversité des parasites et celle de leurs hôtes fait de nos sujets de bons bio-indicateurs (Hatcher et al. 2012). Parfois, il est en effet plus facile d’estimer, dans un écosystème, la diversité parasitaire. C’est notamment le cas lorsque l’on veut faire un suivi d’espèces qui sont l’un des multiples hôtes de parasites. Prenons le cas (purement fictif) des parasites évoqués ci-dessus : si les différents rongeurs étaient infectés par des parasites spécialistes (donc une espèce de rongeur pour chaque espèce de parasite), et non spécialistes comme c’est le cas (un seul parasite infecte toute une myriade d’espèces de rongeurs), il suffirait alors d’attraper l’hôte définitif (pour les besoins de l’article, nous allons sacrifier un chat, mais pas de panique, ce n’est que fictif !). Le prédateur a consommé plein de rongeurs et en a gardé une trace : leurs parasites. Il suffirait alors d’aller voir ce que contient matou pour en déduire grosso-modo la composition de son régime, et donc celle de la population des rongeurs des environs ! 

Et tout ça n’est pas que de la fiction. Les parasites peuvent ainsi servir à estimer les effets de pesticides par exemple : la diversité en parasitoïdes (ces bestioles qui ont tendance à pondre dans d’autres, et sont donc parasites durant leur développement) étant corrélée avec celle de leurs hôtes arthropodes, la quantité de l’une informe des effets des pesticides sur les autres (Anderson et al. 2011). Et ce n’est pas tout, les parasites tous seuls peuvent aussi permettre d’estimer la santé des milieux : beaucoup d’helminthes (un mot pas beau qui regroupe pas mal de parasites de bonne taille comme les trématodes, acanthocéphales, etc.) sont connus pour accumuler les métaux lourds. En dehors d’un rôle de purificateur en métaux lourds qui pourrait s’avérer bénéfique pour les hôtes parasités (seulement en milieu pollué, sinon c’est jamais tip top d’être infecté), les parasites peuvent alors servir de sentinelles pour mesurer la pollution (Dobson et al. 2008). 


Parmi les helminthes, on trouve les acanthocéphales. Ces derniers sont aussi de bons accumulateurs de métaux lourds, comme le plomb. Crédits : Sophie Labaude


La liste des utilités des parasites ne s’arrête pas là, elle ne fait que commencer. Leurs multiples rôles au sein des écosystèmes a fait l’objet de dizaines d’articles, et c’est malgré leur réputation qu’ils s’affirment comme des acteurs indispensables de la biodiversité. Côté détournement, la liste est également loin d’être exhaustive. Rappelez-vous, je vous avais déjà parlé d’un pansement révolutionnaire directement inspiré des grands maitres de la manipulation, les parasites acanthocéphales. Mais il y a un domaine où les parasites s’illustrent particulièrement, où ils n’ont pas à cacher leurs mœurs parfois diaboliques et leurs bouilles qui font rarement partie de ces bêtes qu’on qualifie de mignonnes : les créatures bizarres, ça a toujours fasciné les professionnels du grand écran, et son public ! 


Alien, cette créature qui affole l’imagination pourrait avoir été inspirée de guêpes parasitoïdes… (Crédits : 20th Century-Fox)



Bibliographie 


Anderson, A., McCormack, S., Helden, A., Sheridan, H., Kinsella, A. & Purvis, G. 2011. The potential of parasitoid Hymenoptera as bioindicators of arthropod diversity in agricultural grasslands. Journal of Applied Ecology, 48, 382-390. 

Dobson A., Lafferty, K.D., Kuris, A.M., Hechinger, R.F. & Jetz, W. 2008. Homage to Linnaeus: How many parasites? How many hosts? Proceedings of the National Academy of Sciences, 105, 11482-11489. 

Hatcher, M.J., Dick, J.T.A. & Dunn, A.M. 2012. Diverse effects of parasites in ecosystems: linking interdependent processes. Frontiers in Ecology and the Environment, 10, 186-194. 

Ikegaya, H. 2008. Geographical identification of cadavers by human parasites. Forensic Science International: Genetics, 2, 83-90. 

Tompkins, D.M. & Veltman, C.J. 2015. Behaviour-manipulating parasites as adjuncts to vertebrate pest control. Ecological Modelling, 302, 1–8.



Sophie Labaude

jeudi 8 octobre 2015

Aventures brésiliennes – L’herbier de Rio de Janeiro

Salut tout le monde ! ça faisait un boutte que je n’avions point rédigé icitte (okay jvais arrêter de parler comme ça, ça va m’énerver). Et pour cause : dans le cadre de mon doctorat, je suis parti au Brésil. Voui voui tout à fait. Là. En vert.  

Le Bresil [source]
Et même plus particulièrement, à Rio de Janeiro. Eh ouais, rien que ça.  

Rio de Janeiro [source]

Mon sujet de doctorat, pour faire cours, s’intéresse à la biogéographie d’un genre de Légumineuses, le genre Crudia, qui se retrouve en Amérique du Sud, en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud est. Il faut savoir qu’à cette échelle taxonomique, ce type de répartition est plutôt atypique. De plus, ce genre est très diversifié, comparé aux autres genres évolutivement proches. Je cherche à savoir s’il existe un lien entre cette répartition peu courante et très étendue, et cette diversité relativement importante.

Bref. Je vais passer un peu plus de trois mois (au Brésil hein, pas à Rio), ça va en faire des aventures botaniques à raconter ! Commençons dès à présent avec la présentation d’un travail que bon nombre d’étudiants et chercheurs en botanique systématique doivent réaliser, à un moment ou un autre de leur carrière : j’ai nommé, le travail en herbier.

Un herbier, qu’est ce que c’est ? Ça peut décrire plusieurs choses. Par exemple, on peut parler d’un herbier pour désigner une collection de plantes pressées et conservées par un botaniste amateur. Mais la plupart du temps, un herbier désigne une institution scientifique qui étudie, classe et stocke des spécimens de plantes séchées, classées sur des étagères. Ce sont en majorité des plantes entières ou des portions de branches comportant des feuilles, parfois des fleurs et des fruits. On y trouve aussi des portions de spécimens conservés en alcool, comme les fleurs ou les fruits. En particulier, ces herbiers sont les lieux où sont conservés les types (voir paragraphe suivant, pas de panique !) des espèces décrites par les scientifiques.

Un type, qu’est ce que c’est ?

Ce que l’on appelle un type dans le jargon botanique (et en taxonomie et nomenclature en général), c’est un individu, ou dans le cas d’une plante, une portion de l’individu, qui sera considéré comme porteur de tous les attributs diagnostiques permettant d’identifier une espèce, c'est-à-dire l’ensemble des caractères propres à une espèce et qui permettent de la différencier des autres espèces. Dans les herbiers et dans les collections taxonomiques, les types sont reconnaissables à la présence d’une étiquette rouge signifiant que c’est un spécimen clé. Par exemple, vous pouvez observer ici le type de Crudia klainei, une des espèces sur lesquelles je travaille.

Eh oui,  c’est une branche avec des feuilles sèches, toutes racornies. C’est en général ce qui arrive quand on fait sécher des plantes entre deux feuilles de papier, c’est pas forcément joli-joli à voir. Mais dans ce cas, quel intérêt à avoir un spécimen tel que celui-ci quand on pourrait avoir des photos à la place ? Tout simplement parce que d’une part, ce spécimen est historique et que la description de l’espèce telle qu’elle a été validée dans un journal scientifique est étroitement associée à ce spécimen en particulier, et que d’autre part, il est bien plus facile de travailler sur un spécimen réel que sur une photo. Car avec un spécimen, vous pouvez tourner les feuilles (avec délicatesse, c’est fragile !), réexaminer tel ou tel caractère… ce qui est infaisable sur une photo ! D’autre part, avoir un spécimen conservé en herbier permet d’avoir une preuve réelle de l’existence d’une espèce : on sait qu’on a bien un spécimen correspondant à une espèce en particulier, stocké quelque part dans un herbier. D’où l’intérêt d’avoir tous ces spécimens et tous ces types dans les herbiers, aux quatre coins du monde.

Le travail d’herbier à proprement parler

Un herbier, c’est comme une bibliothèque. Dans une bibliothèque, vous avez plusieurs choix à votre disposition lorsque vous travaillez : lecture, écriture, consultation de documents sur différents médias, discussion avec les bibliothécaires s’il s’agit d’une bibliothèque spécialisée… ce qui est le cas pour un herbier ! Et on y fait exactement ce qu’on peut faire dans une bibliothèque, sauf que les livres sont remplacés par des milliers voire millions de spécimens sur les étagères.

Herbier du MHNH de Paris. Sur la gauche, ce sont des compactus, des armoires mobiles ou les specimens sont stockes sur des etageres. [source]

Ainsi dans un herbier, on peut étudier les spécimens de plusieurs manières, plus ou moins en détail, on peut aussi en prélever certains fragments pour en faire des analyses ADN (si si je vous assure, ça fonctionne bien ! c’est juste un peu long. Et le prélèvement sur les specimens types est très sévèrement contrôlé, voire dans la plupart des cas, interdit), on peut réhydrater certaines parties pour mieux les étudier « en 3D » (les fleurs en particulier supportent mal le passage sous presse), on peut également redécrire un spécimen mal identifié ou même décrire une nouvelle espèce !

Alors maintenant, je vais vous parler de ce que je fais, dans le cadre de mon doctorat. Pas forcément de mon sujet de recherche en entier (et ça, je saurais de quoi il retourne quand ma thèse sera écrite et pas avant) mais de ce que je réalise lorsque je suis à l’herbier.

Au commencement fut… le spécimen

Le but de la manœuvre ici était d’assigner un nom d’espèce aux différents spécimens qui n’en portaient pas. En effet, dans toute grande collection d’herbier, certains spécimens ont juste été identifiés par le nom de genre mais pas par le nom d’espèce, par manque de temps ou par manque de connaissances sur lesdites espèces.

Ma tâche a été facilitée ici par le fait qu’au Brésil se trouvent seulement six espèces du genre Crudia (sur lequel je travaille), qui en compte une cinquantaine, réparties en Afrique, Amérique du Sud et Asie du Sud Est. Donc je suis chanceux, je n’ai à faire de différence « que » entre six espèces. Voici ma méthode opératoire : je commence par prendre des notes sur chaque spécimen que j’ai sous les yeux, de manière à brosser la diversité morphologique présente au sens de chaque espèce… mais aussi de chaque spécimen, car il existe une variation morphologique importante. Tout particulièrement, les espèces étudiées ici sont très proches morphologiquement et ont souvent des fleurs identiques. Or, ce qui est le plus utile en général en botanique, c’est de regarder les caractères portés par les fleurs pour distinguer les espèces entre elles. Ici, pas de chance, c’est difficilement faisable. Il est donc essentiel de se concentrer sur d’autres caractères, et c’est là qu’entre en jeu l’œil affuté du taxonomiste : je me concentre sur les caractères foliaires (c'est-à-dire les caractères portés par les feuilles) ! Ici, particulièrement sur la forme des folioles (qui sont une sous-division des feuilles lorsqu’elles sont composées) et leur aspect (poilues ou non). Oui mais voilà, parfois, ça ne marche pas ! Et je ne peux pas trancher entre deux espèces. Alors je regarde d’autres caractères portés par les fruits cette fois ci. En combinant les caractères des feuilles et des fruits, je suis capable de rattacher un spécimen à une espèce ou une autre… la plupart du temps. Car oui parfois, il faut bien savoir s’avouer vaincu !       

A : Crudia aequalis, B : Crudia amazonica, C : Crudia bracteata, D : Crudia glaberrima, E : Crudia oblonga, F : Crudia tomentosa [source]
Non seulement il est possible d’assigner un nom d’espèce à un spécimen qui n’en avait pas encore, mais il est aussi possible de revoir le travail des chercheurs précédents qui peuvent avoir fait des erreurs. C’est en cela qu’un herbier n’est pas une grosse collection de plantes mortes stockées sur les étagères : c’est une bibliothèque en constante évolution au gré des nouvelles classifications, des nouvelles espèces découvertes et des révisions taxonomiques.

De telles bibliothèques sont réparties à travers le monde et ont chacune des collections de référence, la plupart du temps lié à un passé historique spécifique. Ainsi, les herbiers des Pays-Bas possèdent de nombreux spécimens rapportés d’Asie lors de la période coloniale, de même que les herbiers de France possèdent de nombreux spécimens africains. Les herbiers des pays du Nord possèdent en général une gamme étendue de spécimens anciens venant du monde entier tandis que les herbiers des pays du Sud ou émergents possèdent des spécimens récents provenant souvent du pays même où se situe l’herbier. Il faut donc choisir les endroits où l’on va étudier en fonction des objectifs de recherche que l’on s’est fixé !

La prochaine fois, je vous parlerai du travail réalisé à l’herbier de Belém, qui est ma prochaine destination. J’espère y trouver au moins autant sinon plus de spécimens qu’à Rio et je vous présenterai un autre type de travail qui peut être réalisé sur les spécimens à disposition.
Et en bonus, voici à quoi ça ressemble, un environnement de travail à l’herbier.

Un plan de travail comprend, en général, une loupe binoculaire avec un système d’éclairage, de la place pour étaler les spécimens et parfois un ordinateur (comme c’est le cas ici)


Pour prendre des photos détaillées, on utilise en général un pied pour fixer l’objectif afin d’avoir toujours le même angle de vue. Parfois, il s’avère qu’un tel dispositif ne soit pas disponible alors il faut savoir improviser avec les moyens du bord !

Boris
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