mercredi 18 novembre 2015

Aventures brésiliennes – A la découverte de l’Amazonie

Salut tout le monde ! Voici le second article qui parle de mon périple scientifique au Brésil (si vous n’avez pas lu le premier, c’est ici que ça se passe).
Après mon travail à l’herbier de Rio de Janeiro, je suis parti réaliser un travail similaire dans les herbiers de Belém. Là encore, de nombreux spécimens de la région et surtout, provenant de collectes locales.
Comme il s’agit du même travail qu’à Rio, je ne vais pas m’attarder dessus. Après Belem, je suis allé rejoindre d’autres chercheurs à Manaus… pour aller collecter des plantes au cœur de l’Amazonie.

Voilà. C'est la forêt. Plutôt chouette comme environnement de travail non ? 
Cet article va donc vous présenter le travail de terrain réalisé dans la forêt amazonienne. Mais d’abord, pourquoi aller échantillonner ? Le but ici, était de récolter les plantes du genre Crudia, afin d’avoir accès à du matériel « frais » c'est-à-dire non issu d’échantillons d’herbier. Pourquoi ? Eh bien je m’intéresse à développer des marqueurs moléculaires et pour ça, il me faut de l’ADN de bonne qualité. Pas de panique, j’explique. Pour étudier l’évolution des organismes et les relations de parenté qui existent entre eux, on réalise ce qu’on appelle des arbres phylogénétiques. Je ne vais pas re-décrire tout le principe en détail, c’est très bien expliqué là (autre lien vers un autre article du blog). Pour obtenir ces arbres, il est nécessaire d’utiliser des caractères, moléculaires ou morphologiques. Dans mon cas, les espèces du genre Crudia sont morphologiquement très proches et il est difficile de trouver des caractères assez variables pouvant être utilisés pour reconstruire les arbres. Je me suis donc tourné vers l’utilisation de caractères provenant des séquences d’ADN, nécessitant l’utilisation de marqueurs (voilà, on y arrive !). En biologie moléculaire, en tout cas en phylogénie, ce qu’on désigne par « marqueur » est une portion du génome. Peu importe la localisation dans le génome, ce qui nous intéresse ici n’est pas la fonction de cette portion d’ADN mais sa séquence d’ADN. Une fois cette séquence récupérée (par tout un tas de manipulations de laboratoires dont je vous fais grâce), on peut la comparer à d’autres, et en faisant ainsi, reconstruire les liens de parentés entre les êtres vivants. Jusqu’à maintenant, j’ai utilisé l’ADN récolté sur des échantillons d’herbier, car je n’ai pas eu l’occasion d’aller sur le terrain. Sauf que le problème, c’est que cet ADN est souvent dégradé ou altéré par un mauvais conditionnement (traitement par des produits conservateurs, chauffage excessif, insecticides, etc). Et il est difficile de travailler sur cet ADN pour développer de nouvelles techniques d’études. Une solution à cela est de travailler avec du matériel provenant d’échantillons « frais », qui n’ont pas ou peu été altérés par les processus de conservation et qui permettent d’obtenir de l’ADN de meilleure qualité. Et un moyen infaillible d’avoir accès à du matériel frais… c’est d’aller le chercher soit même. C’est pour cette raison que je suis parti faire du terrain en Amazonie. 

Collecte dans la Reserva Ducke

Les trois premiers jours de travail de terrain ont été menés dans la Reserva Ducke.

La reserva Ducke, c'est le gros carré vert pointé par la flèche rouge. [Source : GoogleMaps]

Cette réserve a été créée officiellement en 1959 suite à la demande d’Adolpho Ducke, qui avait repéré le potentiel de cette zone dès 1955. C’est un carré de 10 km par 10 km, qui renferme une zone de forêt humide sur terre ferme (littéralement, « floresta tropical úmida de terra firme » en portugais), ce qui signifie concrètement que les arbres n’ont jamais les pieds dans l’eau. De nombreuses études sont menées dans cette forêt et un grand nombre d’arbres et de plantes sont connus et référencés sur une carte, avec un numéro. Ce qui est bien pratique lorsqu’on cherche une espèce en particulier, comme c’est notre cas ici. 
L’équipe de travail était composé de Gleison, notre guide et grimpeur, Rafael, étudiant au doctorat, Giulia, étudiant en seconde année d’université en biologie, et moi-même. Alors, comment se déroule une journée de collecte sur le terrain ? C’est bien simple : on marche. Et on ouvre grands ses yeux pour ne rien louper, surtout pas les plantes qui nous intéressent ! Dans notre cas, une difficulté supplémentaire s’ajoute à notre recherche : les plantes que nous cherchons sont des arbres, entre 20 et 30 mètres de haut, avec les premières branches au-delà de 15 mètres. C’est pour cette raison que nous avions avec nous un guide grimpeur, qui allait chercher les branches à plus de 20 mètres de haut. Sans filet. La preuve.

Montée...

Coupage de branches (si si, il est là, cherchez bien !)...

Et descente ! 
Pendant que notre guide coupe les branches en hauteur, on ne reste pas inactif, au sol. Giulia cherche des plantules (= des jeunes arbres, de quelques dizaines de centimètres de haut), pour en étudier les racines, plus tard, en laboratoire, et en décrire le nombre de chromosomes. Je l’aide à déterrer les jeunes pousses. On cherche également à collecter des fruits pas trop abîmés par les décomposeurs du sol (=tous les arthropodes, champignons, qui se chargent de dégrader la matière organique), pour pouvoir réaliser des germinations en laboratoire (encore très pratique pour étudier les racines, par exemple). Une fois que les branches coupées par Gleison sont redescendues au sol, Rafael vérifie que ce sont bien les bonnes espèces qui ont été récoltées. Avoir des branches portant des fleurs est bien sûr un bonus si l’on veut identifier les espèces plus facilement, car je rappelle qu’en général, les descriptions d’espèces se basent surtout sur la morphologie des fleurs. Ensuite, chaque branche provenant du même arbre est mise dans un grand sac plastique, ce qui permet non seulement de faciliter le transport mais aussi de ne pas se mélanger entre les récoltes.
Voici quelques photos prises durant la journée, et qui montrent l’équipe à l’œuvre et l’environnement de forêt tropicale humide :

Au départ de notre collecte.

Les plantules prélevées...

... par Guilia...

... qui cherche avant tout des racines. Réussi !

Rafael identifie avec certitude les branches coupées par Gleison.

Pause photo !
Le soir venu, repos bien mérité ? Que nenni ! Il faut d’abord noter soigneusement quelles plantes ont été récoltées dans la journée, et surtout leur attribuer un numéro de collecte, qui nécessite une autorisation et un permis, déposé auprès des instances scientifiques brésiliennes. C’est Rafael qui se charge d’attribuer un tel numéro à chaque spécimen. Ensuite, les branches, feuilles, fleurs, fruits, sont mis sous presse provisoire (une petite presse mobile de voyage) pour y être conservés, avant d’être séchés une fois revenu au laboratoire. Mais ce n’est pas tout. Afin de conserver certaines parties des spécimens pour des études sur l’ADN, on utilise du Silicagel, ou gel de silice en bon français. On en trouve sous forme de petits sachets de perles transparentes dans les boites à chaussures. En recherche, on achète ces cristaux par seaux entiers. Cela permet de déshydrater les échantillons de feuilles en une journée tout au plus, sans utiliser de produits conservateurs, parce que les produits conservateurs ont en général un impact sur la qualité de l’ADN qui pourra être utilisé plus tard. 

Préparation de la presse.

Comment bien aplatir les rameaux à conserver. [Source : R.B. Pinto] 

Taille relative des fruits et d'une plantule de Hymenea. [Source : R.B. Pinto]

Un botaniste heureux. [Source : R.B. Pinto]
Et en petit bonus, une vidéo de la forêt, le soir, une fois revenu au camp. 


Une fois revenu au laboratoire, les échantillons sont mis sous presse et au séchoir. Il est vital de bien réaliser cette étape afin d’éviter tout problème de champignons, qui pourraient venir s’attaquer aux plantes coupées et les dégrader, spécialement dans des environnements tropicaux. En effet, à cause de l’humidité, dès que les plantes sont coupées, elles sont la proie des champignons. Un séchage rapide après la récolte garantit une meilleure conservation.

Les plantes sont pressées entre des planches de cartons, d'aluminium et de papier journal... [Source : G. Melilli]

... puis elles sont mises à sécher au dessus de lampes très chaudes. [Source : G. Melilli]
En bonus, des trucs archi cool aperçus dans la forêt :

Une chenille.

Une liane avec une forme trop cool.

Heliconia sp.

Un palmier en fruits.

Une fourmilière... ou termitière. Je ne suis pas allé mettre les doigts pour vérifier.

Une Angiosperme parasite !

Une résine qui sent trop bon quand on la fait brûler.

Un insecte qui pue. Surement un Coléoptère.

Un insecte qui mange une fourmis. Peut être une punaise.

Un joli papillon.

Probablement Calliandra sp.

Une vieille feuille (gauche) et une jeune feuille (droite) sur la même plante. La couleur plus foncée est due à la présence de composés secondaires protecteurs contre les UVs et les phytophages.

Une Annonaceae, probablement Guatteria sp.

Un insecte non identifié.

Une mini mini grenouille.

Une mante religieuse-feuille.

Hymenolobium sp. est un des plus grands arbres de la Reserva.

Swartzia sp.

Et pour finir, un toucan ! [Source : R.B. Pinto]

Collecte à Tupé

Après deux jours de repos, nous repartons pour une autre région de l’Amazonie, très différente de la zone de terre ferme où nous avons travaillé. En effet, il s’agit d’un environnement de type « igapò », qui désigne les zones de rivière bordées par le Rio Negro. Un point important à souligner ici : le Rio Negro est un affluent de l’Amazone, et comme son nom l’indique, les eaux de cette rivières sont noires et légèrement acides (attention hein, acide ne veut pas dire dangereux au point de faire fondre la coque des bateaux, c’est seulement que le pH se situe légèrement en dessous de 7). Et ça tombe vraiment bien pour nous, parce que les moustiques ne se développent pas dans les eaux acides… ça, ça nous facilite la tâche (parce que faire du terrain avec des bourdonnements continus dans les oreilles c’est vraiment désagréable croyez-moi). 

Pour vous donner une idée de l'environnement, voilà à quoi ça ressemble :

Le bateau à droite, c'est notre taxi.
En bateau en train de chercher des plantes.



Alors, comment s’organise une collecte de terrain dans un environnement proche de l’eau ? Tout d’abord, à la différence de la Reserva Ducke, nous n’allons pas dans un endroit spécifiquement réservé aux scientifiques, mais nous allons être hébergés chez des habitants locaux. De plus, le mode de déplacement privilégié est le bateau, même si c’est actuellement la saison sèche et que les eaux du fleuve sont au plus bas. Alors on laisse tomber les grosses bottes de marche, on enfile son maillot et on n’oublie pas ses sandales !
Le premier jour, la collecte se déroule de la façon suivante : nous scrutons le rivage depuis le bateau, parfois à l’œil nu, parfois à l’aide du zoom d’un bon appareil photo, parfois à l’aide de jumelles, pour reconnaître de loin les arbres qui semblent correspondre aux espèces recherchées. Car oui, ici, par de carte précise avec l’emplacement que chaque arbre, il faut chercher. Quand on cherche, on finit par trouver ! Une espèce de Crudia se trouvait non loin de la rivière. Oui, une seule espèce ça peut paraître peu, mais quand on a pour objectif de trouver un arbre précis dans ce type d’environnement, je vous assure que c’est assez proche de chercher une aiguille dans une botte de foin avec un bandeau sur les yeux et des moufles aux mains.

Petite parenthèse ici, concernant un fait remarquable observé chez toutes ces plantes proches des rivières et affluents de l’Amazone. Il faut savoir qu’ici, sous l’équateur, la température reste constante toute l’année, mais c’est la pluviométrie qui change beaucoup.

Variation de la pluviométrie et du niveau du fleuve au cours d'une année. [Source : Parolin 2009]
Le niveau du fleuve peut varier de 10 mètres en hauteur ! C’est à peu près la hauteur d’un immeuble de trois étages, pour vous donner une idée, ou bien la longueur d’un autobus. Et donc, pendant la saison des pluies, les arbres se retrouvent… les pieds dans l’eau. Et souvent même bien plus que les pieds ! Certains ont même le feuillage submergé… pendant plusieurs mois ! Il existe alors tout un tas d’adaptations morphologiques permettant à ces plantes de survire sous l’eau et même de tirer parti de cette submersion forcée. En effet, sous l’eau, il n’y a pas d’oxygène gazeux donc les racines de la plante sont en situation d’anoxie (absence totale d’oxygène. On pourrait penser que si on empêche un être vivant de respirer … il meurt. Mais pas toujours, et particulièrement, pas ici. Les plantes modifient à la fois leur métabolisme (entrée en dormance, utilisation des sucres stockés dans les racines pendant la période sèche) et leur morphologie (formation d’aérenchyme, un tissus très spongieux permettant aux gaz de circuler par diffusion plus efficacement dans certaines parties de la plante). Je ne vais pas lister tous les changements que subissent ces plantes, ça pourrait faire l’objet d’un article complet, mais si vous voulez plus d’informations sur le sujet vous pouvez consulter l’article de Parolin (2009), et comme c'est en libre accès, en plus c'est parfait.

Fin de la parenthèse, retournons à nos moutons. Enfin à notre collecte. Le soir venu, il faut encore une fois trier, étiqueter les échantillons et prélever ce que nous voulons garder pour conserver dans le Silicagel en vue d’extractions d’ADN futures. Cette fois, le travail se fait à la lampe torche car nous sommes rentrés après la nuit.

Les branches à mettre sous presse sont sélectionnées...
... puis des échantillons de feuilles sont conservés en gel de silice...
... et les échantillons sont enfin mis sous presse.
Le lendemain, encore une journée de collecte, entamée par une jolie pluie tropicale. On n’est pas fous, on a attendu que ça se calme…


Cette fois, la collecte s’est réalisée non pas aux abords directs du fleuve, mais plus profond dans la forêt environnante. Un terrain légèrement différent de ce que nous avions connu la veille, alternant entre une foret de type « terra firme » et des marécages et cours d’eau. Nous avons eu la chance de trouver une autre espèce de Crudia, différente de celle que nous avions trouvée le jour précédent. L’arbre dont nous avons prélevé des branches se trouvait surplombant une cascade (on en a profité pour faire trempette, c’est ça aussi la recherche, faut savoir se ménager de temps à autre). Cette deuxième récolte, assez inespérée, permettra à l’avenir d’avoir plus de données pour mes analyses. En effet, il aurait été possible de travailler sur une seule espèce pour développer des marqueurs moléculaires, mais en ayant deux espèces à disposition, je vais pouvoir prendre en compte la présence de la variabilité qui existe entre les espèces (ou tout du moins, entre ces deux là). 
Voilà, les aventures de terrain c’est fini pour aujourd’hui, et pour un petit moment, car dès à présent je repars vers le sud du Brésil pour assister à un congrès sur la morphologie des Légumineuses et travailler en laboratoire sur les échantillons récoltés au cours de mon périple !

Sources des photos : B. Domenech, excepté lorsque c'est précisé !

Article : Parolin, 2009. Submerged in darkness: adaptations to prolonged submergence by woody species of the Amazonian floodplains. Annals of Botany.


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